Partie 4 : Algérie versus Kabylie I - Les
années 60 et 70
Cette chronologie, sans être exhaustive,
retrace les événements marquants qui opposent l’Algérie à la Kabylie dans un
duel à mort. Dès le passage du témoin colonial français à l’Algérie dite «
indépendante », la Kabylie qui a toujours lutté pour sa liberté s’est insurgée
contre la dictature que le nouveau pouvoir installé à Alger veut lui imposer.
S’ensuit, depuis, une défiance mutuelle à laquelle le présent Mémorandum se
propose de mettre un terme par une voie pacifique, celle du droit à
l’autodétermination du peuple kabyle, celle de l’expression de la démocratie.
Pour comprendre comment les deux
parties en sont arrivées là, le lecteur trouvera dans le rappel des faits
maillant cette chronologie, les éléments d’information qui peuvent l’édifier. Il
se rendra compte que leurs tensions sont permanentes, depuis 1962, et que les
deux entités sont irréductibles. Par conséquent, leur séparation est la seule
issue pour un avenir de paix si, du moins, la communauté internationale ne
souhaiterait pas que le conflit politique prenne, un jour, des proportions
beaucoup plus dangereuses aussi bien pour les deux antagonistes que pour la
stabilité de tout le bassin méditerranéen. Même si la Kabylie continue de
penser qu’une guerre évitée est un bienfait pour l’humanité, celle-ci n’en sera
jamais tout à fait une tant que tous les peuples ne sont pas libres.
LES ANNÉES 60
-18/03/1962 : Signature des Accords d’Evian
par Krim Belkacem, mettant fin à plus de sept années de guerre et 132 ans de
colonisation française.
-14/04/1962, Ben Bella, se préparant à
prendre le pouvoir à Alger, déclare à Tunis : « Nous sommes des Arabes, des
Arabes, 10 millions d’Arabes ! ».
-05/07/1962 : Proclamation de l’indépendance
de l’Algérie.
-15/09/1963 : Coup d’Etat contre la
Constituante algérienne, une constitution, imposée par le clan d’Oujda (Ben
Bella-Boumediene), est proclamée dans un grand cinéma d’Alger. Elle consacre
l’islam comme religion d’Etat et la langue arabe comme langue nationale, au
mépris de la Kabylie laïque et amazighe.
L’indépendance est confisquée. Le
rêve tourne au cauchemar.
-29/09/1963 : La Kabylie déclare la guerre
contre le pouvoir algérien. Hocine Ait
Ahmed, Mohand Oulhadj et Abdelhafid Yaha le font au nom du FFS (Front des
Forces Socialistes).
-03/10/1963 : Guerre des frontières, appelée
« Guerre des Sables », entre le Maroc et l’Algérie.
-15/10/1963 : Défection de Mohand Oulhadj qui
préfère envoyer ses troupes en renfort à la guerre des frontières et déserte la
résistance kabyle.
-Décembre 1963 : Pourparlers de paix entre la
Kabylie et Alger. Ils vont échouer trois mois plus tard.
-Mars 1964 : reprise de la guerre entre la
Kabylie et l’Algérie.
-16/10/1964 : Arrestation de
Hocine Ait Ahmed, chef de la rébellion kabyle.
-25/11/1964 : Mohand Oulhadj est forcé par
Ben Bella de lui remettre, contre reçu, le Trésor de la Kabylie constitué de 46
lingots d’or d’un kilo chacun, plus de 9000 pièces d’or de monnaie française de
diverses valeurs et la somme de 300 millions de francs.
-10/04/1965 : Ait Ahmed est
condamné à mort. Deux jours plus tard, sa peine est commuée en détention à
perpétuité.
La guerre de Kabylie aura coûté 497 morts et
plus de 3000 arrestations. A ce jour, ses victimes kabyles ne sont pas
reconnues en tant que telles par l’Algérie.
-21/04/1965 : Le Congrès du FLN accouche de «
La Charte d’Alger » dans laquelle la langue arabe et l’islam sont renforcés par
l’option socialiste du pays et aucun mot sur l’identité et les langues
amazighes. Elle énonce en introduction : «
Le peuple algérien est un peuple arabo-musulman. En effet, à partir du VIIIe
siècle, l’islamisation et l’arabisation ont donné à notre pays le visage qu’il
a sauvegardé jusqu’à présent. ». L’amazighité, en tant qu’élément identitaire
fondamental est évacuée
-16/06/1965 : Accord entre le FFS
(Kabylie) et Ben Bella (Algérie) mais le document n’a jamais été publié (Souce
Abdelhafid Yaha). Un entrefilet dans la presse, attribué à l’un des
négociateurs du pouvoir, Mohamed Bejaoui, est publié mais signifiant, plutôt
qu’un accord politique, la capitulation du FFS
-19/06/1965 : Coup d’Etat à
Alger, Boumediene renverse Ben Bella et suspend la constitution. La terreur
politique est institutionnalisée, particulièrement contre tout ce qui est «
berbère » et surtout kabyle.
-01/05/1966 : Evasion de Hocine
Ait Ahmed de la prison d’El Harrach (Alger) vers le Maroc d’où il va rejoindre
la Suisse.
-14/06/1966 : Création en France
de l’Académie Berbère, une organisation politico-linguistique qui va assurer
l’éveil identitaire auprès de plusieurs générations de lycéens kabyles, grâce,
entre autres à la ténacité d’un homme : Mohand Arav Bessaoud.
-1967 : Réduction du temps
d’émission de la radio kabyle (Chaine II) héritée de la colonisation. Ouverture
à 6h 30 du matin, elle interrompt ses émissions entre 9h et 12h, entre 15h et
18h, puis fermeture de l’antenne à 22h.
-1967, la chanson kabyle connaît, sous
l’impulsion de Cherif Kheddam, sa première mutation en ouvrant la radio à de
jeunes talents dont émergeront quelques géants de notre patrimoine.
L’heure de Kabyle diffusée sur les ondes de
l’ORTF (Radio France) sur les Ondes Courtes est ramenée à 15mn, à la demande
d’Alger. Hamid Hamici en était l’animateur et Slimane Azem le chanteur le plus
engagé de l’époque.
-Octobre 1968, Le dictateur Houari Boumediene
humilie la Kabylie en y allant passer 10 jours, une manière de dire qu’elle
était « pacifiée », digérée.
-Fin 1968, suppression du dernier
temps d’antenne du kabyle sur les Ondes Courtes de Radio France.
-1969 : La JSK (Jeunesse Sportive de Kabylie) accède en première division de football. Elle
sera le porte-drapeau et le symbole de résistance de la Kabylie.
-Juillet 1969 : Marguerite Taos Amrouche, chanteuse
kabyle, est interdite au Festival Panafricain d’Alger.
-Septembre 1969 : Création du «
Cercle Culturel Berbère » à la cité universitaire de Ben Aknoun (Alger)
En riposte à ce CCB, et comme
contre-feu aux Kabyles, Boumediene encourage les islamistes à créer la première
mosquée qu’il finance dans la même cité.
LES ANNÉES 70 : RENAISSANCE MALGRÉ LA TERREUR
-18/10/1970, Krim Belkacem, le leader kabyle,
est assassiné à Francfort, par les services de Boumediene.
Mouloud Mammeri publie la grammaire berbère
(Tajerrumt n tmazight) et un lexique moderne (Amawal atrar).
-1972 : Idir révolutionne la
chanson kabyle qui, tout en se modernisant, devient revendicative sur les plans
identitaire et culturel. La liberté d’expression entame son combat contre la
censure.
-1973 : Le cours de langue
amazighe assuré bénévolement à l’université d’Alger par l’écrivain Mouloud
Mammeri est supprimé par décision du ministère de l’enseignement supérieur.
-Mars 1973 : Lors du Festival de la chanson
algérienne, des étudiants kabyles forment deux groupes de musique qui
réussissent à s’inscrire pour y participer (« Imazighen Imoula» en Kabylie et «
Lazouk » à Alger). Les phases éliminatoires se déroulent les 05/07 et le
20/08/1973. En Kabylie, le groupe Imazighen Imoula passe les présélections sans
coup férir, alors que Lazouk, porté pourtant le prestigieux chanteur IDIR, est
recalé dès le 1er tour à Blida. Sa prestation, de facture internationale, est
retransmise à la télévision algérienne mais son élimination répond à deux
besoins : 1) ne pas faire représenter Alger par la chanson kabyle, 2) empêcher
les Kabyles de gagner le premier prix. Celui-ci finit quand même par être
remporté par le groupe rescapé « Imazighen Imoula » que sont venus renforcer
les membres de Lazouk.
-Naissance du Groupe d’Etudes Berbères de
Vincennes à l’initiative de Mbarek Redjala.
-Décembre 1973 : La troupe théâtrale
universitaire de Ben Aknoun, composée de militants kabyles, réussit l’exploit
de représenter l’Algérie au Festival International du Théâtre de Carthage. Le
représentant du ministère de la culture venait chaque semaine assister aux
répétitions qui, en sa présence étaient jouées en arabe. Mais dès qu’il
partait, elles reprenaient en kabyle. La qualité du jeu scénique kabyle a épaté
les spectateurs et le jury qui lui décerne le 2e prix du Festival. Aucun remerciement
du Ministre qui se sent floué.
-Juin 1974 : La fête des cerises de Larvaa
Nat Yiraten (Ex Fort National) tourne au drame après que les autorités aient
décidé d’interdire des chanteurs kabyles. L’électricité
est coupée et des émeutes eurent lieu la nuit devant l’une des plus grandes
casernes algériennes en Kabylie. 4 morts parmi les militaires. La fête des
cerises est définitivement interdite sous la dictature du parti unique.
-Publication des premières revues
clandestines « Taftilt » et « ITIJ »
-27/12/1975 : Une bombe
artisanale est déposée devant l’unique quotidien francophone d’Algérie, «
El-Moudjahid ». Dégâts matériels minimes. Une chasse à l’homme fut déclenchée
dans les milieux « berbéristes ». Une dizaine de
Kabyles sont arrêtés et pour délégitimer leur revendication de langue et
d’identité, le pouvoir va les accuser de « complicité avec l’étranger ».
-04/03/1976 : Procès des « poseurs de bombe »
: un condamné à mort (Smail Medjber), un autre à perpétuité (Mohand U Harun),
un à 20 ans (Kaci Lounes) et un à 10 ans (Cherradi Hocine)
-Du 19/05 au 19/06 1976 : un texte
doctrinaire, « La Charte Nationale », est soumis à débat populaire pour asseoir
la légitimité d’une nouvelle constitution. Sa première phrase assène : «
L’Algérie est partie intégrante du monde arabe ». De tous les coins d’Algérie
où vivaient des Kabyles, revenait la demande de reconnaissance de la langue et
de l’identité amazighes. Mais à sa clôture, le 20/06/1976, Boumediene qui admet
à demi-mots l’existence d’une opposition kabyle, ferma toutes les portes à une
reconnaissance de la moindre différence linguistique ou identitaire en Algérie
en affirmant : « Lors de ces débats, beaucoup d’intervenants ont demandé la
promotion de l’arabe populaire. Si nous venions à accéder à leur vœu, comment
allons-nous communiquer avec nos frères saoudiens, syriens, irakiens ou
palestiniens ? »
-Le 16/09/1976 : une constitution est adoptée
par une mascarade référendaire et reprend les mêmes éléments de base que celle
de 1963. L’arabe langue nationale et l’islam religion d’Etat. Au diable, les
Kabyles !
-30/11/1976 : 1ère arrestation de Ferhat
Mehenni, un activiste « berbériste ».
-19/06/1977 : la JSK est en finale de la
coupe d’Algérie de football. Le dictateur Boumediene qui devait remettre le trophée
au vainqueur était là, au « Stade du 5 juillet » à Alger. Pour cette occasion,
les Kabyles ayant rempli le stade, huèrent l’hymne national algérien et
scandèrent « A bas Boumediene ! ». Aussitôt, sur ordre du despote, la JSK
change d’appellation, il fallait qu’elle perde le nom de Kabylie, elle est
renommée en arabe : « Jamaiyat Sariaa Kawkabi ».
-Septembre 1977 : Ouverture de l’université
de Tizi-ouzou, pour « dékabyliser Alger » où les universitaires kabyles
envahissaient tous les espaces.
-1978 : La JSK perdra même ses
initiales pour devenir JET, car la « Jamayat Sariaa Kawkabi » gardait son
acronyme d’origine qui rappelle trop la Kabylie.
-1978 : Première grève des étudiants à
Tizi-ouzou.
-1978 : Dissolution de l’Académie Berbère à
Paris suite à une collaboration entre services algériens et français.
-Octobre 1978 : création de la Coopérative
Imedyazen à Paris par le FFS qui, après une hibernation de 13 ans, revient à la
vie en rédigeant sa première plateforme « Algérie : l’alternative démocratique
», prônant une « autonomie régionale ».
-28/10/1978 : Organisation d’un concert à
Paris par Imedyazen pour mobiliser l’opinion kabyle en faveur de son identité
et de sa langue. Il y avait à l’affiche, Slimane Azem et Hnifa, Idir et Ferhat.
-Depuis septembre 1978, Boumediene malade
n’est pas apparu à la télévision. Il
agonisait.
-12/12/1978 : une opération en
Kabylie est montée de toutes pièces par les services algériens pour faire
diversion sur la mort du dictateur. Un avion-cargo décolle de nuit de la base d’aviation
militaire de Vgayet pour aller larguer, 15 km plus loin seulement (Cap Sigli)
des armes à de soi-disant opposants. La propagande officielle attribua ce «
coup » aux Marocains.
-Le 28/12/1979 : Boumediene est «
débranché ». Chadli Bendjedid lui succéde deux mois plus
tard. C’est sous la présidence de celui-ci que la Kabylie, ayant repris ses
forces depuis le traumatisme de la guerre de 1963-1965, va s’affirmer
politiquement.
-1979 : 2e grève des étudiants de Tizi-ouzou.
Premières distributions clandestines de la plateforme du FFS « Algérie :
l’alternative démocratique ».
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